Mohammed Harbi – les archives de la revolution algérienne

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Vingt ans presque après l’indépendance de l’Algérie, une histoire scientifique de la guerre de libération reste encore à écrire. Les événements sont encore trop récents, les acteurs en place, et toutes les passions ne sont pas encore totalement apaisées. Aussi n’est-il guère étonnant que l’histoire coloniale seule ait fait l’objet d’études approfondies parmi lesquelles celles de Charles-André Jullien et Charles-Robert Ageron sont indispensables. La période postérieure à l’insurrection de la Toussaint 1954, elle, n’a donné lieu qu’à des récits fort disparates, soit de type journalistique (Y. Courrière) ou engagée (H. Alleg ou Jouhaud…). Seuls quelques historiens anglo-saxons ont pu prendre le nécessaire recul comme Ali- stair Horne ou John Tallbott.

Ceci montre tout l’intérêt de la somme rassemblée, commentée et replacée dans son contexte par Mohammed Harbi. Ce militant de

la première heure, qui adhéra à quinze ans en 1948 au PPA-MTLD, fut négociateur à Evian en 1961- 1962, puis conseiller de Ben Bella de 1963 à 1965. Depuis il a connu le chemin de l’exil et s’est livré à des recherches historiques. On lui doit une très intéressante histoire : Le FLN, mirage et réalité des origines à la p. .se du pouvoir (1945-1962) i. Ici il a réuni dans Les archives de la révolution algérienne 121 documents provenant directement des principaux témoins de ce drame historique. Ces documents sont intéressants car ils éclairent les nombreuses discussions, analyses ou oppositions qui ont accompagné la lutte des combattants algériens. En un style direct, dépourvu de sous-entendu, c’est le fond d’une pensée militante qui se livre au lecteur. On admire la vision des initiateurs. Dans un rapport de décembre 1948 Ait Ahmed trace d’emblée la ligne d’action qui sera poursuivie avec acharnement et succès jusqu’en 1962. Tout ou presque est admirablement perçu : la France défendra bec et ongle sa colonie de peuplement, le soulèvement de masse est une forme d’action inadaptée, la révolution prolétarienne un leurre. Seule la guerre des partisans, issus des campagnes, permettra la victoire.

Mais dans l’ensemble, en dehors de ce rapport-clef, les documents sur la période antérieure à 1954 sont relativement rares. L’absence de sources françaises se fait ici sentir. La suite des événements est mieux retracée en revanche. Luttes d’influence à l’intérieur du mouvement national au sein duquel le vieux leader Messali Hadj reste puissant et actif jusqu’en 1957. Désarroi des moudjahidin à partir de 1958 à la suite du verrouillage des frontières marocaine et tunisienne opéré avec succès par l’armée française.

Quelques documents éclairent l’état d’esprit de l’opinion publique et de la classe politique en France. On se voit confirmer aussi de source algérienne que la chute du gouvernement Mendès-France au début de 1955 fut accueillie en Algérie comme la faillite des derniers espoirs d’une solution pacifique. C’est alors, par immobilisme, par incompréhension ou par soumission aux intérêts des colons que la France perdit l’Algérie. Tout au long de ces années on découvre que la détermination et la conviction des Algériens ne faiblissent guère.

Ce recueil apporte également et surtout des lumières nouvelles sur l’action diplomatique du FLN et du GPRA. A partir de 1958-1959, l’action extérieure sera privilégiée par rapport au combat sur le terrain. La victoire algérienne a surtout été obtenue par la diplomatie. Toutes lés ressources de la dialectique furent ici utilisées et poussées à fond. Faute d’avoir pu isoler la France parmi ses partenaires de l’OTAN, le FLN s’est tourné à la

fin 1958 vers l’Est sans pour autant aliéner sa liberté. Au Maghreb il a négocié, partenaire le plus faible, pied à pied avec le Maroc et la Tunisie qu’il inquiète à bien des reprises. Il ne cède rien au puissant protecteur égyptien. Il gagna l’appui des Africains et des Asiatiques, ce qui lui permit de porter la question algérienne à l’ONU.

Toutes les orientations, le style même de la diplomatie de l’Algérie indépendante se dévoilent avec clarté. « Quelles que soient les circonstances, nous n’abandonnerons jamais nos positions neutralistes » (entretiens algéro-yougoslaves du 12 avril 1961).

Ce recueil de textes, qui par nature ne pouvait qu’être incomplet, effectue une véritable leçon d’histoire.

Eugène BERG